Compte rendu de Marie-Claire Dumas,
pour le site de l’association des Amis de Robert Desnos,
sur
Yann Verdo, Dans bien longtemps, tu m’as aimé, roman (éditions du Rocher, 2022)
Yann Verdo, Sagesse des oiseaux, une anthologie de 101 poèmes, illustrations Paul Kichilov
Postface Marie-Claire Dumas (éditions du Petit Véhicule, 2023)
Sagesse des oiseaux, une anthologie de 101 poèmes, par Yann Verdo, vient de sortir aux éditions du Petit Véhicule, avec une remarquable illustration de Paul Kichilov. Le poète place son recueil sous le signe de l’humour et de la liberté en poésie, en se représentant dès sa préface en petit Poucet, qui sème ses poèmes comme autant de cailloux sur les chemins de la poésie. Modeste proposition semble-t-il, mais qui engage le lecteur sur le chemin de la découverte, selon son humeur et sa curiosité.
Que découvre-t-on sur le parcours de ces 136 pages ?
Le petit Poucet en sait long, dans le domaine de la poésie amoureuse. Il a beaucoup lu et appris auprès des poètes du passé. Il sait leurs espérances et désespérances tout au cours des siècles. Entrer dans le domaine de la poésie érotique est une aventure ardente, entre attente et déconvenue, entre possession et dépossession. Désarroi qui peut tourner à la mélancolie, être surmonté ou conduire à une mort tragique.
C’est aussi et surtout l’art poétique qui balise ce chemin, et que les poètes du passé révèlent au Petit Poucet. En ce domaine, il est particulièrement doué. On sait bien que beaucoup de poètes ont fait leurs premiers essais à partir de cette pratique de l’emprunt, ce qui est une première forme de l’amour de la poésie. Yann est un authentique amoureux de la poésie.
Avec éclectisme, il s’approprie la versification traditionnelle, quatrains, tercets, en sonnets, complaintes ou chansons, comme la prose poétique, du poème en prose jusqu’au récit poétique dans divers formats, jusqu’à la phrase qui semble laissée comme trace de toute une histoire. Comme l’amour, le poème doit être fait, dit-on. C’est à cette exigence que Yann répond avec bonheur dans les 101 poèmes qu’il a choisi d’offrir, pour qu’on les déguste en toute liberté.
Quels écrivains Yann Verdo a-t-il privilégiés au fil des 13 chapitres du recueil, dont les titres portent sens ?
Certains ont une présence insistante, comme Proust ou Verlaine, Nerval ou Baudelaire, Apollinaire ou Villon, et parmi eux Robert Desnos.
C’est vers ce dernier que, par tropisme personnel, je voudrais ici me tourner.
Yann Verdo lui a consacré en 2022 un émouvant « roman », tombeau littéraire consacré au poète mort en déportation à Terezín, Dans bien longtemps tu m’as aimé. J’en fus profondément touchée et en ai donné un compte rendu élogieux sur notre site.
De Sagesse des oiseaux à Dans bien longtemps, tu m’as aimé, les échos sont multiples. C’est à qui les lit d’en multiplier les références. L’anthologie offre-t-elle des roses à profusion ? Le récit n’en est pas avare non plus et déploie de façon minutieuse les versets « De la rose de marbre à la rose de fer », jusqu’à créer une nouvelle rose, l’absente de tout bouquet, la rose de cendre.
« Terezín » qui jalonne les chapitres 13 et 14 du récit trouve sa réplique d ans l’Anthologie sous forme d’un court poème en prose, qui se termine par une conclusion, où le destin de Desnos et l’histoire de Yann Verdo trouvent leur sens : « Robert Desnos ! – Je repense à ta main bien posée bien à plat sur sa tombe, tes cinq doigts s’étoilant sur la pierre. À chacun son étoile de mer. À chacun son destin, sa folie et sa mort. »
Entre tristesse et joie, entre abandon à la jouissance de l’instant et constat de ses limites, telle se dessine la ligne de vie de Yann Verdo.
Alors pour finir, suivons « Bee », l’abeille qui prend son envol dans le récit (sur la route de Quiberon, p. 69), mais se trouve par ailleurs « arrêtée » dans un court poème de trois quatrains, dont les vers de cinq syllabes font coupure dans la course amorcée ailleurs (p. 83 de l’Anthologie), avec cette leçon « Que ne peut plus être / Ce qui a été. »
Résignation non dépourvue d’humour noir mais sans vains regrets.
Donnons le dernier mot à Robert Desnos présent de façon suivie et allusive tout au long de l’Anthologie.
Il dit : « Non, l’amour n’est pas mort
J’aime l’amour, sa tendresse et sa cruauté » (Corps et biens,118)
C’est bien dit
Marie-Claire Dumas
Pour l’association Les Amis de Robert Desnos


Réédition du Voyage en Bourgogne par un nouvel éditeur, le Poisson d'or


Hommage collectif à Robert Desnos, mort au camp de Terezin, le 8 juin 1945 ?
Cette photo a été prise par Jules-César Muracciole qui témoigne ainsi de sa découverte récente de la tombe de Desnos au cimetière du Montparnasse.
Une calligraphie faite de cailloux ramassés dans l’allée proche de la tombe, comprenant outre le nom du poète,
deux constellations, rappelant Yvonne et Youki, les deux amours du poète, qui encadrent l’étoile (de plastique rouge), symbole de l'amour unique, où elles trouvent leur sens. Fidèle au récit de la mort du poète à Terezin, une rose séchée posée le long de la croix rappelle que Teresa Tesarova, l'infirmière tchèque qui assistait les déportés frappés du typhus dans le camp, fut la dernière figure féminine auprès du poète agonisant. Elle l’arracha à l’anonymat d’un numéro matricule, elle l’écouta, et lui offrit cette églantine, la rose la plus modeste mais aussi la seule présente dans ce ghetto, devenu camp de la mort pour tous les déportés du nazisme.
Poser des cailloux sur la tombe d’un défunt est une pratique répandue dans diverses cultures, me dit-on.
Ici, je dirai que ce rappel de Terezin fait plus particulièrement écho à la lutte du poète contre l’antisémitisme.
D'autres interprétations restent ouvertes...
Marie-Claire Dumas et l’Association Les Amis de Robert Desnos

PARUTIONS RECENTES
Lise Deharme, cygne noir, de Nicolas Perge, ed. JCLattès, 2023
Nicolas Perge est réalisateur, producteur et auteur.
Illustration de couverture : photo de Man Ray
Ce livre est de grand intérêt. Et je l’ai lu avec passion, sans quelques questions sur ses choix narratifs.
Comme « desnosseuse » patentée j’y ai cherché les traces de Robert et je les ai trouvées (par ex, p.21,124,126,135,139,141,144,150,170,174,181,183,186,191-193). Dans ces dernières pages, c’est « sur le tarmac du Bourget » que la scène est prise, Lise et Youki attendant ensemble les cendres du poète – occasion de rappeler quelques souvenirs du temps de la résistance et de faire un bref rappel de quelques œuvres de Desnos – dont celles pour les enfants de Lise et Paul Deharme.
En un volume relativement court, Nicolas Perge, qui a réuni une précieuse documentation (tant privée que générale), propose une biographie de Lise Deharme, qui arrache de l’oubli cette personnalité qui fut perçue comme muse d’André Breton et d’autres surréalistes, à travers leurs écrits, avant d’être reconnue dans son rôle de mécène et d’animatrice de salons mondains et littéraires fort prisés de ce milieu. Elle apparaît pourtant dès 1922 comme écrivaine mais ce sont d’abord sa beauté, son insolence et son élégance dans sa manière de régenter ce milieu littéraire où elle se plaît à jeter le trouble, qui se révèlent. Ses aventures conjugales, sa liberté érotique et sexuelle la détournent d’une réelle attention à l’égard de ses deux enfants, Hyacinthe et Tristan, qui lui en garderont rancune. Est-ce d’avoir été mal aimée dans un milieu aisé dans sa prime jeunesse, qui expliquerait cette froideur maternelle ? Nicolas Perge le laisse entendre. Quoi qu’il en soit, après avoir touché à tous les possibles qui s’offraient à elle, c’est sans doute en Paul Deharme que Lise a gardé ses attaches profondes. Quant à ses enfants ils ne surmontent pas leur haine accumulée au cours des ans et laissent pour finir Lise esseulée dans la pauvreté comme dans ses derniers moments.
Cette haine court à travers tout le récit de Nicolas Perge, malgré son parti de garder un regard distant vis-à-vis des faits. Le fractionnement des épisodes évoqués de la vie de Lise se répartit en cinq actes comme dans la tragédie classique. Mais ce cadre traditionnel fait aussi valoir l’arbitraire de ce fractionnement. Certes, au bout du compte/conte Lise apparaît comme une victime tragique du destin. Fallait-il un récit si brisé en éclat pour le faire savoir ?
Marie-Claire Dumas, Association Les Amis de Robert Desnos
"Traitor Comet", par Personne, éd.Outskirt Press
Kristin Harley, « Personne » pour nom d’auteure, nous adresse le premier tome d’un roman
feuilleton en langue anglo-américaine, dans lequel elle associe les destins de Robert Desnos et Antonin Artaud, « deux visionnaires, deux rebelles et deux amis ». Trois volumes sont
annoncés. Le premier s’achève sur l’annonce d’un tome 2, consacré à « L’étoile de mer ».
Ce travail d’expansion romanesque du document, où abondent des scènes dialoguées, suscite certes ma curiosité. Mais aussi quelque crainte d’être vite lassée par le bavardage que favorise souvent ce genre d’écriture. Alors bonne chance pour cette suite.
Marie-Claire Dumas
L'Etoile de Mer n°10 (Nouvelle série)
Poèmes inédits, 1936-1940
Ce cahier consacré à Robert Desnos, Poèmes inédits, 1936-1940, L’Étoile de mer est le vingtième de la série. Vingt poèmes inédits pour ce vingtième numéro. Quelle heureuse coïncidence !
Ce fut d’abord, lors d’une vente en 2020, une émouvante découverte : celle de « Quatre cahiers de poèmes autographes de Robert Desnos », comportant la réécriture en 1940 des « poèmes forcés » écrits en 1936-1937.
On a retrouvé ainsi la source manuscrite des poèmes publiés par Desnos en 1942 dans Fortunes, sous le titre de « Les Portes battantes, 1936 » et en 1943 dans la première partie d’État de veille. Les vingt poèmes que nous publions ici ont la même origine.
Il faut espérer, avec Jacques Letertre qui détient ces documents, que ressortiront de l’ombre les cahiers de 1936, témoins de l’expérience première du poète. La remontée à la source serait alors achevée.


